Les données du suivi de la population d'un amphibien, le Sonneur à ventre jaune, obtenues par l'URCA-CERFE dans le massif de la Croix-aux-Bois, au cours du doctorat de Julian Pichenot, ont alimenté une vaste étude récemment publiée dans la revue Science.
Ce travail d'envergure, réalisé par un consortium de 114 chercheurs, dont une dizaine de français, est le plus important jamais publié sur le sujet de la longévité et du vieillissement chez les vertébrés.
En utilisant les données issues de 107 populations de 77 espèces de reptiles et d'amphibiens, suivies dans le monde entier par capture-marquage-recapture des individus, les chercheurs ont pu montrer que certains reptiles (les tortues notamment) et amphibiens (les salamandres et ou encore le Sonneur à ventre jaune), ont un vieillissement particulièrement lent et une longévité remarquablement longue au regard de leur petite taille corporelle.
En comparaison avec d'autres organismes vertébrés (oiseaux, mammifères), les reptiles et les amphibiens montrent une bien plus grande variation de leur "taux de vieillissement", qui peut être élevé chez certaines espèces, tandis qu'il est "négligeable" chez d'autres. Dire que le taux de vieillissement est négligeable signifie que la probabilité que les animaux ont de mourir n'évolue pas avec l'âge. En d'autres termes, pour un amphibien comme le Sonneur à ventre jaune, dont la longévité dépasse les 20 ans, ce qui est exceptionnel au regard de sa taille (4 à 5 cm), si le risque de mortalité de l'individu est de 1% à 2 ans, il reste proche de 1% à 20 ans.
Autre résultat de cette étude, les longévités importantes et les faibles taux de vieillissement observés, ne sont pas liés au type de thermorégulation de l'organisme ("endotherme" comme les mammifères et les oiseaux, ou "ectotherme" comme les amphibiens et les reptiles), comme cela était envisagé. En revanche, ces paramètres semblent étroitement associés à l'existence de dispositifs de protection contre la prédation : protection physique fournie par les carapaces chez les tortues, ou chimique telle que la toxicité pour les salamandres et le Sonneur à ventre jaune. En réduisant la mortalité des animaux occasionnée par des prédateurs, ces protections leur permettent de vivre plus longtemps et l'évolution a parallèlement favorisé un vieillissement plus lent.
Ainsi, ces données valideraient une hypothèse de "la théorie des histoires de vie", selon laquelle le vieillissement et la longévité chez les vertébrés, pourraient avoir évolué conjointement au travers d'une sélection directe ou indirecte sur des traits tels que la croissance, l'âge à la première reproduction ou encore la fécondité, qui sont génétiquement corrélés. A l'inverse, cela contredirait d'autres théories selon lesquelles, chez les vertébrés, le vieillissement du corps serait inéluctable après l'atteinte de la maturité sexuelle, du fait d'un plus fort investissement de l'énergie dans la reproduction, au détriment des mécanismes de réparation cellulaire.
En apportant une durée de vie plus longue grâce à ces protections contre les prédateurs, l'évolution pourrait donc avoir favorisé un moindre investissement dans la reproduction et dans le même temps un ralentissement du vieillissement.
Les perspectives de ce travail concernent notamment la recherche des bases génétiques du vieillissement et de la longévité chez ces organismes, qui pourraient nous aider à mieux comprendre les déterminants du vieillissement chez tous les vertébrés, incluant l’être humain.
Enfin, dans le contexte de la crise de la biodiversité, et sachant qu'un tiers des espèces d'amphibiens et de reptiles sont aujourd'hui menacées ou en danger d'extinction, ces résultats pourraient aussi apporter des solutions à mettre en place pour mieux préserver les populations en déclin de ces animaux.
Contact
Julian Pichenot , Université de Reims Champagne-Ardenne, CERFE