Les tiques en Argonne : des représentations entre territorialisation et responsabilisation
Une équipe de sociologues du laboratoire SAGE de Strasbourg, composée de Philippe Hamman, Aude Dziebowski, Sophie Henck et Carole Waldvogel, a étudié les représentations professionnelles et sociales des tiques en Argonne , aussi bien en milieux fermés (forêts…) qu’ouverts (prairies…). L’ambition a été d’enquêter différents groupes sociaux afin de comparer leurs regards et savoirs d’usage sur un même territoire : des chasseurs, forestiers, agriculteurs, associatifs nature et randonneurs. Une trentaine d’entretiens approfondis ont été réalisés et croisés avec des observations directes sur site (battue de chasse, journée de travail d’un agent ONF, week-end de la GTA 2022…) ; un questionnaire en ligne a également été élaboré pour le groupe des chasseurs et diffusé grâce au soutien des Fédérations de chasseurs du Grand Est, des Ardennes, de la Marne et de la Meuse, de la Fondation François Sommer (par le biais du Domaine de Belval) et de l’association Artémi55, délivrant de riches informations en cours d’analyse .
Transversalement à ces différents groupes d’acteurs, il apparaît, d’une part, que les représentations des tiques sont empreintes d’un répertoire localisé : qu’il soit question de zones de concentration ou des facteurs explicatifs perçus à la présence des tiques, il n’y a pas un unique corpus scientifique directement approprié. Les modes de compréhension et d’action renvoient à la diversité des savoirs vécus et à des usages au quotidien. Ainsi, les causes de l’accroissement de la faune sauvage, servant d’hôte aux tiques et pouvant contribuer à leur prolifération en Argonne, ne se recoupent-elles pas pleinement en fonction des positions des uns et des autres. Si le dérèglement climatique (hivers sans gelées, intempéries, etc.) est souvent mis en avant, ce facteur macro ne met pas directement en cause des pratiques territorialisées, comme l’agrainage (nourrir artificiellement le gibier) ou des pratiques culturales intensives. Pour autant, des lectures à l’échelle globale du socio-système ressortent auprès d’interviewés issus de différents milieux socio-professionnels, soulevant une relation entre pratiques favorables à la biodiversité, l'équilibre forêt-faune et la non-prolifération de tiques.
D’autre part, la problématique des tiques est révélatrice de la construction sociale des rapports au risque. L’attention portée par les responsables cynégétiques, sylvicoles ou associatifs exprime d’abord une mise en responsabilité individuelle des chasseurs, forestiers et randonneurs : se vêtir de façon protectrice (pantalon et manches longues, chapeau, guêtres…), se munir de tire-tiques voire de répulsif, opérer sur soi un contrôle visuel systématique après l’activité, etc. L’enquête a montré des accommodements permanents par rapport à ces principes affirmés, par exemple en été quand la chaleur détourne des vêtements couvrants, ou lorsque chasseurs comme forestiers se passent de gants pour saisir un animal pouvant être porteur de tiques. L’objectif préventif en matière de santé n’est en effet pas suffisant. En avançant des « bonnes pratiques », il s’agit aussi de ne pas inverser les représentations sociales positives d’une nature idéalisée, d’une forêt « productive et dynamique » pour les professions sylvicoles, d’un attachement à un imaginaire rural ou encore de loisirs familiaux ou touristiques, avec les politiques de développement local en arrière-plan.
Des résultats plus détaillés sont présentés sous plusieurs formats au courant de l’année 2023 : moment de restitution, conférence, vidéo, ainsi qu’une publication académique.
La démarche, les sites d’étude et les principaux apports du projet, tant sur le volet biologique et médical que sociologique, peuvent être suivis à partir de la plateforme Oscahr.
Contacts :
Philippe Hamman, Université de Strasbourg & CNRS, UMR 7363 SAGE
Aude Dziebowski, Université de Strasbourg & CNRS, UMR 7363 SAGE
Sophie Henck, Université de Strasbourg & CNRS, UMR 7363 SAGE
Carole Waldvogel, Université de Strasbourg & CNRS, UMR 7363 SAGE
Marie-Christine Jannin, Association Argonne PNR
Légendes et crédits photos :
-> Photo d’un traqueur accompagné de ses chiens, prise lors de notre observation participante au cœur d’une battue de chasse au grand gibier organisée par la Fédération des Chasseurs des Ardennes. (Crédits: Aude Dziebowski, UMR SAGE, 16/02/2022)
-> Une journée dans l’uniforme d’un technicien territorial de l’ONF en forêt domaniale de Francbois-Bryas, ici photographié en pleine opération de martelage. (Crédits : Aude Dziebowski, UMR SAGE, 19/05/2022)
-> Une observation directe en milieu ouvert lors de la visite de la Ferme de la Hardonnerie, appartenant à l’association WELFARM, membre du Conseil d'Administration d'Argonne-PNR. (Crédits : Sophie Henck, UMR SAGE, 28/05/2022)